A la suite du Conseil constitutionnel, le Conseil d'Etat vient de se déclarer compétent pour exercer un contrôle matériel de la constitutionnalité des directives communautaires à travers leurs mesures nationales de transposition.
Depuis 2004 ( voir notre commentaire sur ces premières décisions publiées à la REDE Téléchargement que_faut_il_penser_de_la_dcision_2004.pdf), plusieurs décisions du Conseil Constitutionnel ont consacré sur la base de l'article 88-1 de la Constitution française l'existence d'une obligation constitutionnelle de transposition des directives.
Dans sa dernière décision en date du 30 novembre 2006 concernant la loi relative au secteur de l'énergie, le Conseil constitutionnel affirmait ainsi que:
" 4. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 88-1 de la Constitution : « La République participe aux Communautés européennes et à l'Union européenne, constituées d'États qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d'exercer en commun certaines de leurs compétences » ; qu'ainsi, la transposition en droit interne d'une directive communautaire résulte d'une exigence constitutionnelle ;
5. Considérant qu'il appartient par suite au Conseil constitutionnel, saisi dans les conditions prévues par l'article 61 de la Constitution d'une loi ayant pour objet de transposer en droit interne une directive communautaire, de veiller au respect de cette exigence ; que, toutefois, le contrôle qu'il exerce à cet effet est soumis à une double limite ;
6. Considérant, en premier lieu, que la transposition d'une directive ne saurait aller à l'encontre d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti ;
7. Considérant, en second lieu, que, devant statuer avant la promulgation de la loi dans le délai prévu par l'article 61 de la Constitution, le Conseil constitutionnel ne peut saisir la Cour de justice des Communautés européennes de la question préjudicielle prévue par l'article 234 du traité instituant la Communauté européenne ; qu'il ne saurait en conséquence déclarer non conforme à l'article 88-1 de la Constitution qu'une disposition législative manifestement incompatible avec la directive qu'elle a pour objet de transposer ; qu'en tout état de cause, il revient aux autorités juridictionnelles nationales, le cas échéant, de saisir la Cour de justice des Communautés européennes à titre préjudiciel ;"
Il ressortait clairement de cette décision comme des précédentes que le juge constitutionnel habilitait les juridictions ordinaires à contrôler le respect de l'obligation constitutionnelle de transposition des directive en coopération avec la CJCE.
Le Conseil d'Etat vient dans une décision d'Assemblée du 8 février 2007 de tirer les conséquences logique de cette habilitation, en affirmant que:
"... eu égard aux dispositions de l’article 88-1 de la Constitution, selon lesquelles « la République participe aux Communautés européennes et à l’Union européenne, constituées d’Etats qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d’exercer en commun certaines de leurs compétences », dont découle une obligation constitutionnelle de transposition des directives, le contrôle de constitutionnalité des actes réglementaires assurant directement cette transposition est appelé à s’exercer selon des modalités particulières dans le cas où sont transposées des dispositions précises et inconditionnelles ; qu’alors, si le contrôle des règles de compétence et de procédure ne se trouve pas affecté, il appartient au juge administratif, saisi d’un moyen tiré de la méconnaissance d’une disposition ou d’un principe de valeur constitutionnelle, de rechercher s’il existe une règle ou un principe général du droit communautaire qui, eu égard à sa nature et à sa portée, tel qu’il est interprété en l’état actuel de la jurisprudence du juge communautaire, garantit par son application l’effectivité du respect de la disposition ou du principe constitutionnel invoqué ; que, dans l’affirmative, il y a lieu pour le juge administratif, afin de s’assurer de la constitutionnalité du décret, de rechercher si la directive que ce décret transpose est conforme à cette règle ou à ce principe général du droit communautaire ; qu’il lui revient, en l’absence de difficulté sérieuse, d’écarter le moyen invoqué, ou, dans le cas contraire, de saisir la Cour de justice des Communautés européennes d’une question préjudicielle, dans les conditions prévues par l’article 234 du Traité instituant la Communauté européenne ; qu’en revanche, s’il n’existe pas de règle ou de principe général du droit communautaire garantissant l’effectivité du respect de la disposition ou du principe constitutionnel invoqué, il revient au juge administratif d’examiner directement la constitutionnalité des dispositions réglementaires contestées ;"
Les propos du Conseil d'Etat sont directement inspirés de ceux du commissaire du Gouvernement Mattias Guyomar. Ce dernier s'est appuyé dans ses conclusions (Téléchargement conclusions.doc ) sur les dernières évolutions de la jurisprudence précitée du Conseil constitutionnel consacrant une obligation constitutionnelle de transposition correcte des directives pour déterminer la spécificité du contrôle de la constitutionnalité des lois de transposition. Il a rappelé que la réserve de constitutionnalité formulée par le Conseil constitutionnel était très proche de celle formulée par d'autre cours constitutionnelles, comme le Tribunal constitutionnel espagnol, la Cour constitutionnelle allemande et italienne. Il a ensuite relevé que la jurisprudence du Conseil d'Etat fondée sur l'arrêt Sarran et l'article 55 de la Constitution ne correspondait pas à la position actuelle du Conseil constitutionnel. Et de souligner que "Toute divergence avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel en la matière risquerait d’être perçue, à tort ou raison, comme une position de défiance envers le juge communautaire. Ce serait d’autant plus dommageable que vos relations avec la Cour de justice sont aujourd’hui apaisées...Alors que se développe en Europe, comme nous l’avons vu, un mouvement général de coopération judiciaire entre les cours suprêmes nationales et la CJCE, il serait en outre hasardeux de faire, sur ce point, cavalier seul.";
C'est ainsi pour ne pas entrer dans une "guerre des juges" que le Commissaire a incité le Conseil d'Etat à faire évoluer sa jurisprudence vers la reconnaissance de la primauté du droit communautaire en se fondant sur l'article 88-1 de la Constitution sans remettre en cause la suprématie des règles et principes de valeurs constitutionnelles.
Cette solution pragmatique organise la coopération entre le juge national et la CJCE. Le juge national, juge de droit commun du droit communautaire peut se livrer à un premier contrôle du respect par les directives des principes généraux du droit communautaire. Ce n'est qu'en cas de doute sérieux sur la compatibilité de la directive à ces PDG qu'il demandera à la CJCE de trancher cette question par voie préjudicielle. C'est ce que fit le Conseil d'Etat dans l'affaire présente. Il saisit la CJCE afin qu'elle vérifie la validité de la directive de 2003 établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté. Il s'agit principalement d'examiner sa conformité au principe d'égalité en ce "qu'elle rend applicable le système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre aux installations du secteur sidérurgique, sans y inclure les industries de l’aluminium et du plastique". L'affaire sera donc désormais dans le camp de la CJCE.
En l'absence de dispositions constitutionnelles matériellement équivalentes dans l'ordre juridique communautaire, le juge administratif sera compétent pour examiner indirectement la constitutionnalité des directives à travers leurs mesures nationales de transposition. Il pourra le cas échéant donner priorité aux règles constitutionnelles nationales. Là est posée l'ultime limite de la confiance réciproque entre les deux ordres juridiques, l'ordre juridique national d'une part, et l'ordre juridique communautaire d'autre part.
Ainsi comme le fait remarquer le communiqué de presse du Conseil d'Etat, "lorsque sont en cause des droits et libertés spécifiques à la Constitution française, le juge national en assure lui-même le respect. L’annulation d’un acte de transposition au regard de l’un de ces droits ou libertés spécifiques constituerait un signal fort adressé aux pouvoirs publics pour, soit qu’ils engagent une révision de la Constitution afin de réduire ces spécificités, soit qu’ils demandent une renégociation de l’acte de droit dérivé ainsi reconnu indirectement contraire à la Constitution".
L'intégration des ordres juridiques nationaux à l'ordre juridique communautaire aboutit ainsi à un "pluralisme ordonné" pour reprendre une expression de Mme Delmas Marty. Le Commissaire du gouvernement en déduira que "La primauté du droit communautaire, et partant, celle de la Cour de Justice, gardienne naturelle des Traités, ne remet pas en cause, dans l'ordre interne, la suprématie de la Constitution."
Plus que jamais, les juges français assument leur dédoublement fonctionnel: juges de droit commun du droit communautaire et garants en dernier ressort de l'identité constitutionnelle française. Ainsi comprise, la décision du 8 février 2007 constitue une nouvelle concrétisation de la subsidiarité juridictionnelle entre la CJCE et les juges nationaux français.
Ce qu'en dit la presse:
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