Le 30 juin 2005, la Cour européenne des droits de l'Homme (ci-après CREDH) a rendu un arrêt important BOSPHORUS AIWAYS c. IRLANDE. Download affaire_bosphorus.doc
Cet arrêt de la Grande Chambre (formation juridictionnelle la plus solennelle) donne un satisfecit à la sauvegarde des droits fondamentaux au sein de la Communauté européenne qui est globalement jugée équivalente à celle accordée par la CEDH. La CREDH maintien néanmoins sa compétence de principe pour contrôler à tout moment le maintien de ce niveau équivalent de protection. Conformément à sa jurisprudence antérieure, la CREDH se déclare compétente pour contrôler indirectement le droit communautaire dérivé au travers de mesures nationales d'exécution.
L'arrêt BOSPHORUS précise l'entendue du contrôle que la CREDH peut exercer sur des mesures nationales prises en application du droit communautaire dérivé au regard de la Convention européenne des Droits de l'Homme (CEDH).
En l'espèce, le gouvernement irlandais avait saisi un appareil de la Société BOSPHORUS AiRWAYS en application du règlement communautaire n°990/93 qui mettait en oeuvre le régime des sanctions prises par les Nations Unies contre la République Fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro). La Société aérienne qui avait ainsi perdu le bénéfice de trois ans de contrat de location invoquait une violation de l'article 1 du Protocole n°1 (protection de la propriété).
Dans son arrêt la CREDH conclut à l'unanimité à la non violation de l'article 1 du Protocole n°1 de la CEDH. Conformément à sa jurisprudence antérieure, (M and Co, Cantoni, Matthews) la CREDH a rappelé que:
- Les Parties contractantes pouvaient transférer des droits de souveraineté à une organisation internationale, comme par exemple à la Communauté européenne
- Dans ce cas, l'organisation internationale en cause ne peut voir sa responsabilité engagée si elle n'est pas partie à la CEDH. Cela conduit la CREDH a déclaré irrecevable un recours intenté directement contre une norme communautaire dérivé. C'est notamment une des raisons pour laquelle l'article I-9 du Traité établissant une Constitution pour l'Europe prévoit l'adhésion de l'Union européenne à la CEDH alors même que les 25 membres de l'UE sont déjà membres de cette Convention.
- Cela dit "les parties contractantes sont responsables de tous les actes et omissions de leurs organes, qu'il découlent du droit interne ou de la nécessité d'observer des obligations juridiques internationales". Autrement dit, peu importe comme en l'espèce que le gouvernement irlandais ait été tenu de saisir l'appareil de la société requérante en application d'un règlement communautaire. La CREDH estime que le droit communautaire dérivé ne peut faire obstacle à son contrôle au regard de la CEDH de la mesure de saisie prise par le gouvernement irlandais.
La CREDH apporte ensuite d'utile précision sur la manière dont elle doit exercer un tel contrôle indirect du droit communautaire dérivé à travers des mesures nationales d'exécution prises par un gouvernement d'un Etat membre dans le cadre d'une compétence liée:
- "Une telle mesure doit être réputée justifiée dès lors qu'il est constant que l'organisation en question accorde aux droits fondamentaux ... une protection à tout le moins équivalente à celle assurée par la Convention. Par "équivalente " la Cour entend "comparable".
- "Toutefois, un constat de "protection équivalente" de ce type ne saurait être définitif: il doit être réexaminée à la lumière de tout changement pertinent dans la protection des droits fondamentaux."
- Pareille présomption peut toutefois être renversée dans le cadre d'une affaire donnée si l'on estime que la protection des droits garantis par la Convention était entachée d'une insuffisance manifeste. Dans un tel cas, le rôle de la Convention en tant qu' "instrument constitutionnel de l'ordre public européen" dans le domaine des droits de l'homme l'emporterait sur l'intérêt de la coopération internationaleé".
Voir le site de la CREDH pour lire l'arrêt dans son intégralité
La position de la CREDH n'est pas sans rappeler celle d'une autre Cour constitutionnelle cette fois ci nationale, la Cour constitutionnelle allemande et sa traditionnelle jurisprudence So lange. En effet, si la CREDH s'estime compétente pour vérifier la comparabilité de la protection des droits fondamentaux au sein de la Communauté européenne au regard de la CEDH, la Cour constitutionnelle allemande s'arroge le droit de vérifier si ce niveau de protection est équivalent à celui exigé par la Loi fondamentale allemande. Cette jurisprudence devenue désormais classique semble faire de nouvelles émules. La déclaration du Tribunal constitutionnel espagnol en du 13 décembre 2004 (voir aussi analyse Fondation Schuman) sur le Traité constitutionnel ainsi que la récente décision du Conseil Constitutionnel français du 10 juin 2004 (voir notre commentaire) semblent également s'en inspirer.
L'ensemble de ces positions juridictionnelles attestent de l'impossibilité d'aborder la question de la primauté du droit communautaire sur le droit constitutionnel sans prendre en compte la question des limites des transferts de droits de souverainetés au profit des organisations internationales.
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